La sélection de Donc Acte !

Donc Acte ! ne suit pas l'actualité cinéma à la loupe. Donc Acte !, qui s'est intitulé Le cinéphobe pendant une courte période, n'a pas pour passe-temps de visionner des pelloches de cinoche. Donc Acte ! ne va pas souvent voir une œuvre en salles. L'envie est rare. Le plaisir est d'autant plus intense lorsque je suis satisfait par une rencontre du 7ème art. Certains films m'inspirent des réflexions ; c'est ce que je souhaite partager. Je ne propose pas de thèses et il m'arrive de gâcher les histoires en racontant la fin. Vu que je ne mets pas ce qui a été fait de l'invention des frères Lumière sur un piédestal et que je suis des fois moqueur, Donc Acte ! peut ne pas plaire.

mercredi 26 octobre 2011

Le juge & l'assassin

Mercredi 26 Octobre 2011
Octobre Rouge #21

La tête de Joseph Vacher

Joseph Vacher était un tueur en série français surnommé "Jack l'éventreur du sud-est français". Il a étranglé, égorgé, éventré, mutilé (seins et organes génitaux) et violé une vingtaine de femmes et d'enfants de 9 à 70 ans (et plus) à la fin du XIXème siècle.  Mendiant, il effectuait des travaux agricoles d'appoint pour se nourrir. Il passait pour malodorant vagabond auprès des gendarmes car il arborait fièrement sa vareuse de sergent. Il avait été tiré au sort pour l'incorporation en 1890 où il connut de nombreux conflits avec ses camarades d'armes car il souffrait de délire de persécution. Après 2 tentatives de suicide et 2 promotions (il était doué pour endosser l'autorité), il eut une attitude violente après le rejet de Louise Barrand (dont il était amoureux) et il fût renvoyé de l'armée. C'est alors qu'il tira 3 balles sur elle sans l'atteindre. Il essaya de se suicider dans la foulée avec les 3 cartouches restantes mais se rata. Il garda néanmoins des séquelles graves : un œil droit exorbité rouge de sang, une oreille purulente et une bouche déformée lorsqu'il parlait. Lucide parfois, souffrant de délires paranoïaques à de multiples occasions, ses meurtres avoués commencèrent après sa sortie de l'asile psychiatrique de Dôle en 1893 mais il existe de fortes suspicions concernant des assassinats survenus avant son passage dans l'armée (aucun pendant). Joseph Vacher fut arrêté en 1897 et guillotiné en 1898.




Le juge & l'assassin, Bertrand Tavernier, 1976, France.

Le juge & l'assassin débute en 1893, année de la tentative de meurtre de Vacher (devenu Bouvier pour les besoins du film et incarné par un resplendissant illuminé Michel Galabru) sur Louise Barrand. Immédiatement, le discours du film s'intéresse aux liens entre l'homme, le lieu et l'époque à laquelle il vit. Tout y passe : l'église, l'asile psychiatrique, la volonté de se débarrasser des individus encombrants, le juge et sa maman, le procureur enchanté, la nature montagneuse, la ferme de village, la ferme isolée, la bretonne, la normande, les rivières, le tribunal de justice et le gendarme trop vieux pour exercer son métier (où en était le droit à la retraite ?), l'ouvrière/prostituée sortie du bordel/fabrique (qui y travaillait 7 jours par semaine pour 2 francs par journée : où étaient les droits du travail ?), la chirurgie proche de la boucherie, la chrétienté à tous les coins, les culottes rouges d'uniformes militaires, la maman du juge au lit, les vagabonds, les troupeaux de moutons et les bergers, une évocation à l'affaire Dreyfus, du chantage à la soupe populaire, ... on ne peut pas se tromper. Le juge & l'assassin n'est ni un thriller ni un film policier ni de l'horreur. C'est un drame historique. L'ensemble des 3 premiers quarts d'heure du long-métrage est une série de plans bien cadrés et superbement photographiés exposant le trouble de Bouvier dans cette dite-France. La narration s'attarde également sur les conclusions du juge Fourquet (devenu Rousseau pour le film et incarné par Philippe Noiret). Le passage de l'un à l'autre permet de créer des ellipses de temps faisant passer le récit de 1893 à 1897 en moins d'une heure. Beaucoup de ces sauts temporels passent par le texte (monologues de Bouvier) et quelques photogrammes d'après-crimes. Un très beau livre d'images est assemblé et il n'y a aucune équivoque concernant le parti pris toujours très critique de Bertrand Tavernier.

Ceci dit, la vision du film peut continuer. J'en étais resté à la 47ème minute.


A la 47ème minute, commence la confrontation entre les 2 hommes du titre. Rousseau se concentre sur l'obtention d'aveux de Bouvier. La partie truculente de Le juge & l'assassin se développe et permet à Galabru de montrer l'étendue de son talent (Galabru "est né" pour ce rôle). Le juge et l'assassin s'envoient des piques. Chacun croit être le plus doué et manipuler l'autre avec aisance ... pendant 20 minutes ... puis je me demande perpétuellement si Tavernier est intéressé par son intrigue ou s'il attache plus d'importance à la reconstitution de l'état d'esprit français de la fin du XIXème siècle. Chaque scène ajoute à la peine : les villageois du fin fond du pays cossu ne croit pas à la une des journaux montrant l'identité du tueur et détaillant ses aveux, la médecine des contrées hexagonales est très en retard, un colonel antidreyfusard veut chier sur Zola jusqu'à ce que mort s'ensuive, Isabelle Huppert lit un texte au chevet de sa fille malade ... Le juge & l'assassin pousse sa larme sur une France passée à plaindre.


Pour ne pas crever de tristesse, je me réfugie dans un fantasme : entre le juge et l'assassin, on retrouve une Isabelle Huppert transformant l'écran en aimant à mirettes. Elle est tout simplement la plus belle rousse du "star system" des années 1970 (et aussi d'avant ... mais pas d'après ... désolé mais la concurrence avec Nicole Kidman dans les années 1980/1990 et avec Amy Adams dans les années 2000 est serrée ... mais, dans les fantaisies, la compétition n'est pas nécessaire ^^ ... merci l'esprit humain).


Dans la dernière partie du film, Michel Galabru laisse le côté illuminé catholique prendre le dessus. Le juge, lui, va de dîner en dîner prédire que l'avenir guerrier de la France se situe contre des individus comme Bouvier et connaît (enfin) une évolution de personnage en s’acoquinant avec Rose (incarnée par Isabelle Huppert) à la façon d'un rustre amoureux. Après avoir été menacé de mort par Bouvier, Rousseau se réfugie dans les jupes de Rose et la force à l'accueillir chaleureusement entre ses cuisses. Puis je découvre que le juge est antisémite dans un meeting politique le présentant comme le futur de la nation et que Rose s'engage dans la voie socialiste.


Le film socialiste de Tavernier s'achève sur une note historique (surprise surprise) : l'ennemi intérieur est le nationalisme, et, Vacher/Bouvier n'était finalement pas grand chose à côté de ces sales patrons qui envoyaient des enfants à la mine (2 500 d'entre eux y ont perdu la vie). Tavernier relativise la monstruosité de Bouvier après nous l'avoir exposé dans toute sa largeur en finissant Le juge & l'assassin sur un texte politique et sociale hors sujet (ou alors c'est le récit de tueur en série qui est hors sujet ... au choix) qui est à réserver au mordu d'histoire de France et qui souhaitait, à l'époque, des écoles et des droits sociaux.



 FIN BIDON POUR FILM TROMPEUR = FIN D'ARTICLE HUMORISTIQUE

Pour ma part, je termine sur un moment d'humour inspiré par ce film : tout autour du duo entre le juge et l'assassin, est construite une peinture de la France de l'époque dont voici (ci-dessous et à droite) une de ses composantes.


Si, à l'époque, un journal (La Croix) pouvait se vendre en vantant son antisémitisme (et s'afficher sur une église), les films sur des tueurs en série (se vendant dessus) devraient me permettre de prédire que ces derniers seront à l'avenir les boucs émissaires d'un parti politique à tendance radicale.


Jamais à court d'un rire, je balance mes blagues comme Vacher tire ses balles sur Louise Barrand et lui-même, comme Tavernier fait un film de serial killer, à bout pourtant et en manquant ma cible.

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